Le boulodrome étirait ses différentes pistes sur un des cotés de la Place Lelièvre, juste derrière le kiosque. Quelques rares fois, le jeudi après-midi, tenant la main de mon grand-père, je franchissais le portail. Je n’allais guère plus loin. Je m’asseyais de suite à droite de la porte. Le fait d’être admis dans cet espace exigeait de ma part de me faire oublier car les enfants ne devaient pas en passer le seuil. C’était inconfortable, mais, être là, c’était autre chose qu’un match de foot ou une partie de billes dans la rigole de ciment.
Les boulistes étaient différents l’après-midi et le soir L’après-midi, c’étaient des « vieux », comme mon grand-père. A cette époque et à cet endroit être vieux ce n’était pas péjoratif ou discriminant. Au contraire, être vieux vous apportait respect et attention. Donc, vers dix neuf heures, les équipes changeaient de profil. Les parties se disputaient alors entre joueurs rentrant de travail.
Je préférais nettement l’ambiance de l’après-midi. Le soleil plombait le tuf recouvrant le terrain. Il s’en exhalait une odeur un peu acre. Le jeu obéissait à un rythme plus lent car la chaleur et l’age des joueurs ralentissaient chaque mouvement. Chacun s’épargnait une gesticulation inutile ce qui donnait à tous une solennité patriarcale. Joueurs et spectateurs étaient impeccables. Ils portaient la large casquette ou le béret qu’ils soulevaient à intervalles réguliers pour s’essuyer le crâne et le front. Le pantalon remontait haut sur le ventre. Dans ce quartier ouvrier certains n’avaient pas abandonné le « bleu de chauffe », pourtant l’on sentait que l’habit bleu, trop net, ne côtoyait plus le chantier ou l’atelier. Mais, au-dessus de tout ça il y avait le pliant. Allez savoir pourquoi, je rêvais d’un de ces petits pliants de toile à rayures multicolores et armature de bois. C’est avec envie que je les voyais s’installer aux endroits qu’ils jugeaient les meilleurs, soit pour l’ombre du kiosque, soit pour ne rien perdre des phases de jeu.
Avant chaque coup, le chiffon jaune ou le bout de peau de chamois débarrassait les boules d’une pellicule de poussière gris blanc. Par contre les chaussures et les espadrilles ne pouvaient y échapper. Quand un coup était joué, qu’il soit raté ou réussi, le juron du bouliste s’exprimait dans un souffle comme s’il avait du mal à passer la barrière des lèvres. L’assistance, elle, murmurait ses commentaires et parfois applaudissait. Cette pudeur s’expliquait certainement par le fait que, l’après-midi, la place Lelièvre, accueillait mamans et mamies et que, joueurs et spectateurs du boulodrome se contenaient pour ne pas heurter de chastes oreilles.
Le soir c’était une autre paire de manche. La placette se vidait et le boulodrome retrouvait une trivialité toute méditerranéenne. Du balcon de mes grands-parents dont l’appartement se situait juste au-dessus de chez Coco & Riri, j’entendais avec délectation tous ces jurons rageurs ou jubilatoires. Je faisais provision de toutes ses imprécations avec la ferme intention de m’en servir plus tard.
Les boulistes étaient différents l’après-midi et le soir L’après-midi, c’étaient des « vieux », comme mon grand-père. A cette époque et à cet endroit être vieux ce n’était pas péjoratif ou discriminant. Au contraire, être vieux vous apportait respect et attention. Donc, vers dix neuf heures, les équipes changeaient de profil. Les parties se disputaient alors entre joueurs rentrant de travail.
Je préférais nettement l’ambiance de l’après-midi. Le soleil plombait le tuf recouvrant le terrain. Il s’en exhalait une odeur un peu acre. Le jeu obéissait à un rythme plus lent car la chaleur et l’age des joueurs ralentissaient chaque mouvement. Chacun s’épargnait une gesticulation inutile ce qui donnait à tous une solennité patriarcale. Joueurs et spectateurs étaient impeccables. Ils portaient la large casquette ou le béret qu’ils soulevaient à intervalles réguliers pour s’essuyer le crâne et le front. Le pantalon remontait haut sur le ventre. Dans ce quartier ouvrier certains n’avaient pas abandonné le « bleu de chauffe », pourtant l’on sentait que l’habit bleu, trop net, ne côtoyait plus le chantier ou l’atelier. Mais, au-dessus de tout ça il y avait le pliant. Allez savoir pourquoi, je rêvais d’un de ces petits pliants de toile à rayures multicolores et armature de bois. C’est avec envie que je les voyais s’installer aux endroits qu’ils jugeaient les meilleurs, soit pour l’ombre du kiosque, soit pour ne rien perdre des phases de jeu.
Avant chaque coup, le chiffon jaune ou le bout de peau de chamois débarrassait les boules d’une pellicule de poussière gris blanc. Par contre les chaussures et les espadrilles ne pouvaient y échapper. Quand un coup était joué, qu’il soit raté ou réussi, le juron du bouliste s’exprimait dans un souffle comme s’il avait du mal à passer la barrière des lèvres. L’assistance, elle, murmurait ses commentaires et parfois applaudissait. Cette pudeur s’expliquait certainement par le fait que, l’après-midi, la place Lelièvre, accueillait mamans et mamies et que, joueurs et spectateurs du boulodrome se contenaient pour ne pas heurter de chastes oreilles.
Le soir c’était une autre paire de manche. La placette se vidait et le boulodrome retrouvait une trivialité toute méditerranéenne. Du balcon de mes grands-parents dont l’appartement se situait juste au-dessus de chez Coco & Riri, j’entendais avec délectation tous ces jurons rageurs ou jubilatoires. Je faisais provision de toutes ses imprécations avec la ferme intention de m’en servir plus tard.